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Tribune Libre accordée à Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA : « Beaucoup de grands projets échouent ; l'Avocat du Diable aiderait à mieux prendre conscience des risques potentiels »

Bernard Beauzamy, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA Bernard Beauzamy, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA
  1. L'échec des grands projets

Beaucoup de grands projets échouent. Il peut y avoir toutes sortes de raisons :

  • Techniques : on découvre que le process envisagé ne donne pas complètement satisfaction ;
  • Economiques : le marché a été mal analysé, ou la concurrence a inventé autre chose ;
  • Naturelles : les lois de la Nature (séismes, inondations, etc.) ont été mal appréciées ;
  • Sociétales : une frange de la population s'oppose à l'innovation projetée.

Dans la plupart des cas, ces raisons peuvent être anticipées, au moins grossièrement. Les dirigeants en auraient la capacité : ils sont entourés d'experts qui, en principe, sont là pour cela.

Mais, dans toutes les situations que nous avons rencontrées, ces experts ne font pas convenablement leur travail. Ils savent que les dirigeants veulent le succès du projet et ils remettent des rapports de complaisance, tout simplement parce que eux-mêmes sont intéressés au succès. C'est le cas en particulier pour :

  • L'assistance scientifique et technique au dirigeant, qui y voit une occasion de faire valoir ses compétences ;
  • Les cabinets de conseil externes, qui sont payés pour donner raison au dirigeant ;
  • Les Universitaires, qui n'ont pas le sens des réalités, et voient l'évolution du monde à l'aune des publications académiques.

Le meilleur exemple où l'on voit comment de mauvais conseils ont été donnés, par ces trois parties, est, en 2002, notre Note au Secrétariat Général de la Défense Nationale (Premier ministre), intitulée "Galileo, Chronique d'un scandale annoncé". Quelques années plus tard, elle nous a valu les félicitations de M. Jacques Barrot, à l'époque Vice-Président de la Commission Européenne.

En réalité, le point commun à toutes ces situations où le grand projet échoue est ceci : 

Toutes les personnes qui ont eu à se prononcer sont intéressées à la réussite du projet.  Or on ne peut être à la fois juge et partie.

  1. Ignorer les critiques

Lorsqu'elles existent, les objections faites par les experts techniques sont rarement bien rédigées ; elles ne s'adressent pas au bon niveau de décision. Elles vont être lues par le supérieur hiérarchique immédiat, qui est, lui aussi, directement lié à la réussite du projet. Au mieux, il verra une critique de détail, à laquelle on saura répondre tant bien que mal. Il ne transmettra pas les réserves, ou bien sous une forme très affaiblie. Le décideur final n'en saura rien. 

S'il s'agit de prestataires externes, ils n'ont guère de liberté de parole. On a conclu avec eux des contrats selon lesquels ces experts doivent mener les calculs dans le sens indiqué, c’est-àdire valider le projet initial, le rendre plus robuste, traiter les cas laissés ouverts. Lorsque les spécialistes découvrent une difficulté de nature fondamentale, ils peuvent difficilement en informer les dirigeants : ce n'est pas dans le contrat, sauf si cette "obligation de conseil" a été prévue explicitement, ce qui est très rare.

Nous-même avons eu une convention cadre avec l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), sous le titre "Méthodes probabilistes pour la sûreté nucléaire". Elle prévoyait explicitement cette obligation de conseil : si, même en dehors de la formulation explicite des tâches assignées, nous découvrons quelque chose qui ne va pas, nous avons l'obligation d'en informer l'IRSN. Mais de tels libellés sont rares et, la plupart du temps, le dirigeant ne veut pas entendre les objections ; il répond "veuillez exécuter les termes du contrat prévu".

Notons pourtant que, juridiquement, le prestataire, spécialiste d'un sujet, a l'obligation d'informer les dirigeants des difficultés qu'il rencontre, même si elles sont extérieures à l'exécution même du contrat. Si le prestataire, à qui on a demandé l'influence de la 15ème décimale dans un calcul, constate que l'ensemble de la méthode est inappropriée, il a l'obligation de le dire. Malheureusement, dans l'immense majorité des cas, son avertissement sera ignoré des décideurs. Au mieux, il perdra son contrat ; au pire, il se retrouvera face à un litige devant les tribunaux. Il est plus simple pour lui, dans tous les cas, de faire ce qu'on lui demande, même s'il en perçoit l'absurdité.

  1. L'avocat du diable

C'est une pratique introduite par l'Eglise catholique en 1587 par le pape Sixte V, pour les procès en canonisation : quelqu'un était chargé de dire que le prétendant ne méritait pas d'être canonisé, en cherchant toutes les raisons à cela.

Cette "séparation des pouvoirs" se retrouve dans la justice traditionnelle : l'avocat général cherche à montrer la culpabilité ; l'avocat de la défense adopte la position inverse.

Elle est complètement indispensable pour un grand projet : il faut que quelqu'un soit explicitement payé pour rechercher les raisons pour lesquelles le projet peut échouer, et ce avant même le lancement du projet ; comme nous l'avons vu plus haut, lors du déroulement c'est souvent trop tard et c'est devenu plus difficile.

Les sociétés cotées en Bourse tiennent à la disposition du public un "document unique", qui recense en particulier les risques auxquels ces entreprises sont exposées. L'idée évidente est que le public doit être informé avant d'acheter des actions. Il devrait en être de même, pour toutes les entreprises, lorsqu'elles abordent un grand projet : le Conseil d'Administration, avant de donner son accord, devrait dire : montrez-nous le rapport établi par l'Avocat du Diable. Cette pratique devrait être obligatoire.

La SCM peut jouer ce rôle d'avocat du diable. Nous pouvons être juges, puisque nous ne sommes pas intéressés à la réussite.

  1. Notre méthode de travail

Elle est simple : le projet est nécessairement accompagné d'un dossier technique, que nous analysons. Toutes les hypothèses ont-elles été convenablement prises en compte et explorées ? Les extrapolations sont-elles fantaisistes ou réalistes ? Nous le lisons comme nous lirions un document soumis pour publication à une revue scientifique : il faut tout vérifier, aussi bien les données que les raisonnements.

Par exemple, lorsque nous avons travaillé pour Espaces Ferroviaires, filiale de la SNCF en charge des opérations immobilières, nous avons établi qu'un changement de réglementation environnementale, pendant la durée du projet (souvent dix ans) n'était pas un risque, mais une certitude. 

La comparaison entre les anticipations et l'historique est source d'informations : vous nous dites que vous attendez un accroissement de trois pour cent par an sur dix ans, mais il n'a été que d'un pour cent sur les dernières années ; comment expliquez-vous la différence ?

Le résultat du travail sera un rapport, établi par l'avocat du diable, recensant explicitement les risques encourus par le projet, avec une analyse de leur probabilité et de leurs conséquences : ces risques ont-ils été convenablement pris en compte ?

Notre rapport mettra en évidence les vulnérabilités du projet ; charge ensuite aux décideurs de voir s'ils doivent l'abandonner, ou bien demander aux responsables de corriger ces vulnérabilités. Dans tous les cas, mieux vaut le savoir le plus tôt possible.

  1. Nos références

Elles sont très nombreuses, parce qu'on nous demande depuis longtemps des analyses critiques, soit sur l'aspect scientifique des projets, soit sur leur aspect économique. Voici les plus récentes :

- Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME), 2001-2002 : Analyse et expertise de l'outil européen de prédiction des émissions du trafic routier ; estimation des incertitudes liées à son utilisation ;
- Thomson Multimedia et Canal + Technologies, 2002-2003 : Analyse des vulnérabilités d'un réseau numérique domestique ;
- CNES, 2003 : Expertise du modèle de calcul des risques lors de la retombée d'un ballon ;
- Veolia Environnement, 2003-2005 : Etude de dimensionnement concernant le réseau d'assainissement de Brest à horizon 2010-2015 ;
- CEA, Site de Saclay, 2005-2006 : Etude des risques liés aux transports de matières dangereuses et au survol du site par les avions ;
- Espaces Ferroviaires, 2006 : Etudes des risques associés aux opérations immobilières de la SNCF ;
- CDC-Arkhinéo, 2006 : Analyse des vulnérabilités d'un système d'archivage électronique ;
- Direction Générale de l'Energie et des Matières Premières, 2007-2008 : Analyse des logiciels relatifs aux prévisions des émissions de CO2 ;
- Délégation à la Sûreté Nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense, 2007-2008: Etude sur le cadre méthodologique des études de sûreté probabilistes Analyse ;
- Agence Nationale des Titres Sécurisés, Ministère de l'Intérieur, 2008 : des vulnérabilités dans le processus de délivrance d'un passeport biométrique ;
- Société Colas, 2008 : Analyse critique d'un logiciel de calcul de prix ;
- Réseau de Transport d'Electricité, 2009 : Analyse critique d'études épidémiologiques ;
- IRSN, 2009 : Validation des lois de probabilité utilisées dans les Etudes Probabilistes de Sûreté ;
- AXA Private Equity, 2009 : Etudes prospectives relatives au développement de certaines filières énergétiques (éolien, photovoltaïque, etc.) ;
- IRSN, 2010 : Analyse mathématique des dispositifs de surveillance au sein d'un réacteur nucléaire ;
- AXA Private Equity, 2010 : Analyse d'investissements ;
- Direction Générale Energie Climat, 2010-2011, en cotraitance avec le CITEPA : Estimation des incertitudes dans l'Inventaire National Spatialisé ;
- SNCF, 2011 : Optimisation des investissements relatifs aux travaux à réaliser ;
- EDF, Service des Etudes Médicales, 2011-2012 : Analyse critique : l'épidémie de Légionellose "Noroxo" ;
- Aéroports de Paris, 2012: Analyse critique des études épidémiologiques concernant l'impact du bruit des avions sur la santé des riverains ;
- Agence d'Ecologie Urbaine, Ville de Paris, 2012 : Analyse critique d'un logiciel relatif à la qualité de l'air ;
- GDF SUEZ, 2012 : Evaluation des incertitudes dans la comptabilité du gaz ;
- DCNS, 2012 : Présentation du projet "Flexblue" à des investisseurs ;
- Réseau de Transport d'Electricité, 2013 : Analyse critique de l'étude "GEOCAP" ;
- Espaces Ferroviaires, 2013 : Analyse des risques liés aux opérations immobilières ;
- IRDEME, 2015 : Analyse critique d'un document économique ;
- IRSN, 2015-2017 : Dysfonctionnements dans les réseaux de capteurs ;
- ANDRA, 2017-2019 : Optimisation du placement des capteurs pour la surveillance d'un site de stockage de déchets radioactifs ;
- Investisseur privé, 2018 : "Due Diligence" d'une compagnie financière ;
- BRGM, 2019 : Analyse critique d'une méthode de détermination des seuils de pollution. »

Bernard BEAUZAMY*

Source : Société de Calcul Mathématique SA

*Bernard BEAUZAMY, est un ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1968). En 1976, il obtient un Doctorat d'Etat ès Sciences en mathématiques, sous la direction de Laurent Schwartz. En 1995, il crée son entreprise, la Société de Calcul Mathématique, une entreprise spécialisée dans l’analyse et les probabilités, la théorie des nombres, le traitement du signal et de l'image, la modélisation, le calcul scientifique et l’optimisation.

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Dernière modification le mercredi, 29 avril 2020 15:44

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