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Tribune Libre accordée à Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA : « La lutte contre le CO2 est devenue une grande cause nationale, sans que personne ne sache pourquoi »

Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA

"Nos dirigeants, tout en haut de l'échelle sociale, jouissent d'une considération unanime, comme les Brahmanes de l'Inde antique : ils ne se déplacent qu'escortés de gendarmes ; leurs propos sont recueillis avec ferveur ; ils participent à des rencontres internationales avec des interlocuteurs de même qualité. 

Dans l'immense majorité des cas, en démocratie, ces dirigeants sont élus, ou au moins nommés par des dirigeants élus. Leur tâche est de guider le pays, c’est-à-dire de prendre des décisions qui engageront la nation tout entière : faut-il une transition énergétique ? doit-on réduire la part du nucléaire, etc. Sur toutes ces questions, qui ne sont pas des évidences, une abondante documentation est évidemment nécessaire.

Comment nos dirigeants ont-ils cette documentation ? La réponse est simple : au moyen de rapports qu'on leur remet, ou que leurs conseillers leur transmettent. Mais, plus ils sont hauts dans la hiérarchie, et plus les rapports sont synthétiques et brefs. Toute justification, toute causalité, toute analyse ont disparu, au profit d'une simple recommandation, en général sur un style comminatoire : voici ce qu'il convient de faire.

Un rapport de haut niveau est la synthèse abrégée de rapports de niveau immédiatement inférieur, qui sont eux-mêmes une synthèse abrégée, etc. Si l'on parcourt cinq ou six niveaux hiérarchiques, il ne reste rien du rapport d'origine, censé décrire le besoin et les faits. A force de résumer et de synthétiser, l'essentiel s'est perdu, d'autant que le résumé et la synthèse sont rarement honnêtes sur le plan intellectuel : l'auteur ne conserve que ce qui l'arrange et le reste passe à la trappe.

C'est ainsi que la lutte contre le CO2 est devenue une grande cause nationale, sans que personne ne sache pourquoi, mais l'affirmation a été répétée par tant de responsables de haut niveau que le petit peuple l'accepte sans autre forme de discussion. Quel moyen aurait le petit peuple de savoir si le CO2 est bon ou mauvais pour la santé, bon ou mauvais pour le climat ? Le petit peuple, occupé au quotidien par les moyens de sa survie, accepte sans rechigner les décisions venues des Brahmanes : le CO2 est mauvais pour la planète, donc mauvais pour chacun de nous.

Le raisonnement s'étend à toutes les préoccupations sociales : transition énergétique, économies d'énergie, restriction des transports, etc. Il y a là un ensemble, très étayé sur le plan juridique, dont personne ne comprend l'origine factuelle : les dirigeants de haut niveau en ont ainsi décidé, sur la base de rapports qui sont eux-mêmes la synthèse d'autres rapports (par exemple ceux du GIEC), sans que quiconque ait exercé le moindre esprit critique à propos de l'assemblage global : d'où viennent les données et comment les conclusions ont-elles été tirées ?

A l'autre extrémité de l'échelle sociale, c’est-à-dire tout en bas, il y a ceux qui ne se préoccupent que des données et non des rapports que l'on peut en tirer. Nous appartenons évidemment à cette catégorie, que l'on peut appeler les "Intouchables" de l'Intelligence Artificielle. Hors cette caste, ce n'est que rejet : voir une donnée ! Pouah, quelle horreur ! Mettez-la vite dans la machine qui la digérera sans autre forme de procès et préparera le premier rapport : une synthèse destinée aux niveaux supérieurs.

Bien entendu, pour le moment, nous ne sommes pas les seuls à nous préoccuper de données et à entrer dans la catégorie des intouchables : des organismes comme le Bureau de Recherches Géologiques et Minières, Météo France, le Bureau d'Analyse des Risques et Pollutions Industriels, etc. font un travail de bonne qualité : connaître le sous-sol, mesurer les températures, enregistrer les accidents.

Il y a en outre d'innombrables observatoires : des revenus, des endettements, etc. Le pays s'était progressivement doté, depuis Napoléon 1er, d'organismes techniquement compétents chargés, chacun en ce qui le concerne, d'évaluer les changements qui peuvent survenir, en bien ou en mal.

Le problème est que ce principe : d'abord acquérir les données pour elles-mêmes et faire en sorte qu'elles soient de la meilleure qualité possible, est aujourd'hui remis en cause. Emmanuel Macron, sur le climat, a estimé qu'il suffisait de demander l'opinion de 150 citoyens tirés au hasard, sans se préoccuper de fondements scientifiques en aucune manière. Tous les organismes qui ont pour mission d'origine de collecter des données se sentent obligés, de nos jours, de les justifier par référence aux orientations du moment.

On ne peut plus analyser le sous-sol en France sans faire référence, pour le principe, à la séquestration du CO2 : lorsqu'un trou est creusé quelque part, ce ne peut être que pour y mettre du gaz carbonique, et ce fait est le seul qui survivra lors du passage du rapport de l'étape n à l'étape n-1, lorsque le dirigeant de l'organisme fera son rapport annuel d'activité, à destination du préfet ou du ministre.

En ce qui nous concerne, tout ceci nous amuse bien ; nous nous réjouissons d'être parmi les derniers des intouchables, ceux que les miracles de l'intelligence artificielle affecteront en dernier ; d'ici là, nous méditons tranquillement ce vieux proverbe : le poisson pourrit par la tête."

Bernard BEAUZAMY*

Source : Société de Calcul Mathématique SA

*Bernard BEAUZAMY, est un ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1968). En 1976, il obtient un Doctorat d'Etat ès Sciences en mathématiques, sous la direction de Laurent Schwartz. En 1995, il crée son entreprise, la Société de Calcul Mathématique, une entreprise spécialisée dans l’analyse et les probabilités, la théorie des nombres, le traitement du signal et de l'image, la modélisation, le calcul scientifique et l’optimisation.

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Dernière modification le mardi, 22 février 2022 20:02

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