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ITEIPMAI : Certaines huiles essentielles permettraient de protéger les semences et les cultures contre les insectes, les champignons, les bactéries et les adventices

LOGO-ITEIPMAILa disparition, ces dernières années, de nombreuses substances actives de synthèse en protection des cultures a entraîné un regain d’intérêt pour les substances d’origine naturelle. En parallèle à ces disparitions, le contexte réglementaire incite fortement à développer l’utilisation des méthodes alternatives à la lutte chimique : directive cadre sur l’utilisation durable des pesticides, règlement 1107/2009 sur la mise en marche des produits phytosanitaires, plan Ecophyto 2018. Parmi ces méthodes, on peut citer l’emploi de bio-pesticides et en particulier des huiles essentielles. L’iteipmai, institut technique des plantes aromatiques, médicinales et à parfum, a engagé différents travaux dans cet objectif.

Rappelons tout d’abord ce qu’est une huile essentielle. La Pharmacopée Européenne[1] en donne la définition suivante, très proche de celle de la norme ISO[2] : « Produit odorant, généralement de composition complexe, obtenu à partir d’une matière première végétale botaniquement définie, soit par entraînement à la vapeur d’eau, soit par distillation sèche, soit par un procédé mécanique approprié sans chauffage. L’huile essentielle est le plus souvent séparée de la phase aqueuse par un procédé physique n’entraînant pas de changement significatif de sa composition ».

Soulignons deux éléments importants :

• C’est un produit obtenu à partir d’une matière première végétale : l’origine est végétale mais nécessite la mise en œuvre d’un procédé pour son obtention.

• Trois procédés d’obtention seulement sont retenus :

  1. l’entraînement à la vapeur qui est à l’origine de la plupart des huiles essentielles;
  2. un procédé mécanique approprié » : il s’agit de l’obtention à froid (pressage ou raclage) des huiles essentielles d’agrumes (citron, orange, etc.);
  3. la distillation sèche qui n’est plus guère employée.

Les composés que l’on retrouve dans l’huile essentielle sont issus du métabolisme secondaire du végétal et s’accumulent généralement dans des structures spécifiques telles que des poches sécrétrices souvent localisées sur ou proche de la surface de la plante. Selon les plantes, ces structures peuvent se trouver dans tous les types d’organes végétaux : fleurs, feuilles, fruits, racines… et leur contenu peut varier en quantité et en qualité selon la localisation dans la plante.

En raison même de leur mode d’obtention, il y a de nombreux exemples d’huiles essentielles dont la composition diffère significativement du contenu des structures végétales accumulatrices. Par exemple, l’huile essentielle de fruit de coriandre a une odeur douce d’orange alors que l’huile essentielle de feuille de coriandre sent la punaise écrasée.

Dans une même espèce botanique, on peut parfois différencier plusieurs races chimiques ou chémotypes. En effet, il arrive que les voies de biosynthèse diffèrent légèrement, aboutissant à la production d’huile essentielle dont le constituant principal n’est pas le même. Par exemple, on peut distinguer au moins 7 chémotypes différents sur le thym : thymol, carvacrol, linalol, géraniol, a-terpinéol, thuyanol et eucalyptol[3].

Des modes d’action variés

Les huiles essentielles ont été testées sur différentes cibles en protection des culture : les insectes, les micro-organismes (champignons et bactéries), les adventices et aussi en protection des semences.

Les insectes

Les activités des huiles essentielles décrites sur les insectes sont variées : larvicides, adulticides, répulsifs ou inhibiteurs de croissance. La plupart des huiles essentielles agissent en perturbant la structure de la membrane cellulaire mais, pour certaines, des effets neurotoxiques ont pu être mis en évidence, dus à des interactions avec des neurotransmetteurs tels que le GABA (acide gamma-aminobutyrique) et l’octopamine, ou par inhibition de l’acétyl cholinesterase.

Enfin, certaines huiles essentielles peuvent potentialiser l’action d’autres molécules en inhibant les cytochromes P450 qui, normalement les détoxifient. Par leur volatilité et leur petite taille, beaucoup des constituants des huiles essentielles interagissent avec les récepteurs d’odeur des insectes, déclenchant des comportements variés: fuite, attraction, oviposition, etc.[4 ; 5].

Les micro-organismes

La grande majorité des études sur l’activité antibiotique des huiles essentielles porte sur les micro-organismes pathogènes pour l’homme ou qui altèrent sa nourriture[6]. Les huiles essentielles les plus efficaces sont riches en phénols (thymol, carvacrol, eugénol) ou en aldéhyde cinnamique, bien que quelques alcools (linalol, terpinène-4-ol…) montrent dans certains cas une activité intéressante.

Un article récent[7] fait le point sur les huiles essentielles ayant démontré, au laboratoire, des activités intéressantes contre des champignons pathogènes des cultures. Les champignons étudiés appartiennent aux genres suivants : Botrytis, Penicillium, Aspergillus, Pythium, Colletotrichum, Curvularia, Fusarium, Alternaria, Bipolaris, Pyricularia, Rhizoctonia, Cladosporium, Lasiodiplodia, Phomopsis, Rhizopus…

Les adventices

Les études publiées sur l’activité des huiles essentielles comme herbicides sont nombreuses et recouvrent généralement des tests d’inhibition de germination de graines. Celles qui paraissent les plus actives sont des huiles essentielles à phénols (thymol, carvacrol), à cétones (carvone, pulégone) ou à étheroxydes (eucalyptol ou 18-cinéol).

Les produits commercialisés aux USA sont majoritairement des herbicides de contact qui agissent en dissolvant la cuticule recouvrant les feuilles, ce qui entraîne la mort des cellules. Cet effet ne dure pas longtemps, ce qui nécessite des applications fréquentes, à doses assez élevées (50 à 500 l/ha d’huile essentielle)[8].

Certains composés issus d’huile essentielle agissent différemment. Par exemple, la leptospermone de l’huile essentielle de Leptospermum scoparium s’est révélée être un puissant inhibiteur de la HPPD (ou phydroxyphenylpyruvate dioxygenase), qui entraîne une décoloration et un flétrissement des adventices. Elle est efficace en pré et post levée des adventices (sétaire, avoine, moutarde brune, rumex crépu, panic piedde-coq, digitaire sanguine, amarante réfléchie) mais il en faut 9 kg/ha pour un contrôle satisfaisant[9].

L’huile essentielle de Leptospermum est plus active que la leptospermone pure et des études récentes (2013) ont mis en évidence la circulation de cette molécule dans la digitaire sanguine[10]. Des molécules de synthèse de structure proche (sulcotrione et mésotrione par exemple) ont été développées avec des efficacités 100 fois supérieures [8].

Une règlementation complexe

Malgré leur image de produits naturels, les huiles essentielles ne sont pas dépourvues de toxicité. Elles font donc l’objet de nombreuses réglementations, variables selon le secteur d’utilisation. La partie « contexte réglementaire » des recommandations relatives aux critères de qualité des huiles essentielles de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament [3] fait le point à ce sujet pour les secteurs cosmétique, alimentaire et pharmaceutique.

Pour être utilisées en protection des cultures, les huiles essentielles doivent suivre la réglementation des produits phytopharmaceutiques, à savoir le règlement 1107/2009[11]. Ce règlement fixe les exigences à respecter pour faire homologuer un produit phytosanitaire en Europe : il faut d’abord que l’huile essentielle soit autorisée en tant que substance active au niveau européen, puis que le produit la contenant soit autorisé en France.

Pour inscrire une huile essentielle en Europe, 3 solutions existent avec chacune des exigences bien spécifiques :

l’inscription en tant que substance active classique. C’est la démarche qui s’applique à tout produit phytosanitaire ; elle nécessite un dossier dont le coût est très élevé.

l’inscription en tant que substance à faible risque. Une substance est dite « à faible risque » lorsqu’elle n’est ni un CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique), ni un produit chimique sensibilisant, ni une substance toxique ou très toxique, ni explosive, ni corrosive, ni persistante (demi-vie dans le sol < 60 jours), n’ayant pas un facteur de bioconcentration > 100, ni perturbateur endocrinien, sans effets neurotoxiques ou immunotoxiques.

• l’inscription en tant que substance de base. Est considérée comme substance de base une substance qui n’est pas préoccupante, et qui n’a pas d’effet perturbateur endocrinien, neurotoxique ou immunotoxique. Une substance de base est considérée comme étant utile dans la protection des cultures. Elle doit en outre être utilisable soit telle quelle, soit suite à un procédé simple de traitement.

Aujourd’hui, les denrées alimentaires peuvent être considérées comme des substances de base. La substance de base est autorisée en Europe pour une durée illimitée[11].

Aujourd’hui, en Europe, aucune substance n’est autorisée en tant que substance à faible risque ni en tant que substance de base. En effet, la démonstration de non toxicité des huiles essentielles selon les critères qui ont été développés pour les produits chimiques purs se heurte à de nombreuses difficultés méthodologiques comme par exemple, la complexité et les variations de leur composition et leur caractère lipophile.

En l’absence d’études sur une huile essentielle dans son intégralité, les toxicologues estiment sa toxicité soit par celle de son constituant le plus toxique, soit en faisant le cumul de la toxicité de chacun de ses constituants. Cette approche mathématique peut conduire à attribuer à une huile essentielle une toxicité potentielle bien supérieure à celle constatée dans la réalité.

Quelques huiles essentielles –de citronnelle, de clou de girofle et de menthe verte– sont autorisées au niveau européen en tant que substances actives classiques parce qu’elles ont été soumises avant la mise en application du règlement 1107/2009.

L’huile essentielle d’orange douce, qui bénéficie déjà d’autorisations provisoires dans certains pays européens dont la France, est en cours d’évaluation pour inscription. En raison d’une réglementation différente, davantage de produits phytosanitaires à base d’huiles essentielles sont commercialisés au Canada et aux Etats-Unis.

Les travaux en cours

Plusieurs études sont en cours pour évaluer l’intérêt des huiles essentielles dans la protection des cultures. On peut citer par exemple celles menées par l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) qui, en 2012, a travaillé sur l’inscription de certaines plantes en tant que substances de base, mais aussi celles menées par PO2N (Pesticides Organiques d’Origine Naturelle), association qui a pour but de partager les connaissances et faire connaître les différents travaux réalisés dans les pays francophones sur les molécules ou extraits naturels à activité de type pesticide.

De son côté, l’iteipmai a, depuis quelques années, entamé un travail de prospection bibliographique[14] sur les produits naturels en protection des cultures à l’issue duquel est né le programme «GreenProtect ». Ce projet vise à explorer les potentialités biocides de substances naturelles pour des usages en protection des plantes et protection contre les moustiques. Initié par l’iteipmai, porté par Goëmar, entreprise basée à Saint-Malo, GreenProtect associe les entreprises Goëmar, Vilmorin et Cie, SBM Développement et Nat’Inov, ainsi que 4 équipes de recherche (Université d'Angers, Montpellier SupAgro, EID Méditerranée) et Plante et Cité.

Ce programme a pour but de sélectionner des biocides innovants dont la toxicité n’est pas impactante pour l’homme et l’environnement afin de mettre sur le marché des produits naturels et homologués. Pendant 4 ans, les partenaires mèneront ainsi un travail de sélection de ces substances : évaluation de leur efficacité à l’échelle du aboratoire, en conditions contrôlées puis en conditions réelles d’utilisation, optimisation des procédés d’obtention, caractérisation et optimisation de la formulation jusqu’à la validation de la faisabilité industrielle et économique de ces produits innovants.

Cette présentation des potentialités d’emploi des huiles essentielles en protection des cultures illustre les espoirs mais aussi les difficultés liées à leur mise en œuvre. On peut espérer que les travaux en cours pourront aboutir rapidement sur des applications concrètes qui ouvriront de nouveaux débouchés à la filière des plantes aromatiques, médicinales et à parfum, tout en assurant la protection des cultures dans le respect de l’environnement.

A propos de l’iteipmai

L’iteipmai, Institut technique qualifié par le Ministère de l'Agriculture, assure une mission de recherche appliquée finalisée au service des filières plantes aromatiques, médicinales et à parfum (PPAM). Cette activité technique majeure, réalisée à la demande de ses adhérents -acteurs organisés de la production et industriels utilisateurs- a pour finalité :

  • d’améliorer le revenu des agriculteurs et le sécuriser dans le temps,
  • de maintenir et développer une activité des PPAM sur le territoire,
  • de permettre à l’agriculture et aux entreprises industrielles d’accéder ensemble à un développement durable,
  • de générer la confiance et le bien-être des consommateurs.

L’iteipmai ...

  • crée des variétés plus performantes pour répondre sans cesse à de nouveaux besoins,
  • œuvre à la protection des cultures et de l’environnement et met au point des itinéraires techniques qualifiables, soumis à homologation,
  • ouvre de nouvelles perspectives de production avec de nouvelles espèces ou de nouveaux usages,
  • contribue à la structuration de la filière et à l’évolution de sa règlementation et de ses normes (AFNOR, Pharmacopées).

Les activités sont réalisées principalement à la demande de ses 100 adhérents, personnes morales couvrant la très grande majorité des acteurs significatifs de la filière, faisant de l’iteipmai une association très représentative de l’économie du secteur, de sa géographie et de sa diversité.

Références bibliographiques :

[1] Pharmacopée européenne : Huiles essentielles - Aetherolea (01/2008 :2098).

[2] Norme ISO 9235 :1997, Matières premières d’origine naturelle - Vocabulaire.

[3] Desmares C., Laurent A., Delerme A., 2008. Recommandations relatives aux critères de qualité des huiles essentielles, AFSSAPS : pp.17

[4] Regnault-roger C., Vincent C., Thor Arnason J.,2012. Essential oils in insect control: low-risk products in a highstakes world. ANNUAL REVIEW OF ENTOMOLOGY, vol. 57, p. 405-424.

[5] Tripatji et al. 2009. A review on prospects of essential oils as biopesticide in insect-pest management, Jouranl of Pharmacognosy and phytotherapy vol 5(1), 052-063

[6] Lang, G. and Buchbauer, G. (2012), A review on recent research results (2008–2010) on essential oils as antimicrobials and antifungals. A review. Flavour Fragr. J., 27: 13–39. doi: 10.1002/ffj.2082

[7] Vidyasagar G.M. et al., 2013, ANTIFUNGAL INVESTIGATIONS ON PLANT ESSENTIAL OILS. A REVIEW. Int J Pharm. Sci, Vol 5, Suppl 2, 19-28

[8] Soltys D, Krasuska U, Bogatek R, et Gniazdowska A. 2013. Allelochemicals as Bioherbicides – Present and Perspectives; htpp://dx.doi.org/10.5772/56185

[9] Dayan F.E., Howell J.L., Marais J.P., Ferreira D., and Koivunen M. (2011) Manuka Oil, A Natural Herbicide with Preemergence Activity. Weed Science: October-December 2011, Vol. 59, No. 4, pp. 464-469.

[10] Owens DK, Nanayakkara NP, Dayan FE.,2013. In planta mechanism of action of leptospermone: impact of its physico-chemical properties on uptake, translocation, and metabolism.J Chem Ecol. Vol 39(2):262-70.

[11] Anonyme, 2009. Règlement (ce) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du conseil. Journal Officiel De L’union Européenne, vol.L 309, p. 1 à 50

[12] EU pesticides database : http://ec.europa.eu/sanco_pesticides/public/index.cfm

[13] e-phy : http://e-phy.agriculture.gouv.fr/

[14] Piasentin J., 2010. Produits naturels en protection des cultures. Potentiel d'utilisation des plantes à parfum, aromatiques et médicinales. TERRES D'INNOVATION, vol. , p. 1-87

Source : Iteipmai

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Dernière modification le samedi, 06 janvier 2018 18:26