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Tribune Libre accordée à Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA : « Le déclin de la pensée »

Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA Bernard BEAUZAMY, Fondateur de la Société de Calcul Mathématique SA

"Nous sommes entrés progressivement, depuis 40 ans, dans une ère d'obscurantisme. Ce mot se définit aisément : chacun a des convictions, auxquelles il se cramponne, n'accepte de recevoir que les arguments qui vont dans le sens de ses convictions et refuse par principe tout argument (même purement factuel) qui va dans un sens différent. Suivez n'importe quel débat, par exemple sur LinkedIn : ce n'est qu'échange d'invectives, avec au moins trois fautes d'orthographe par ligne. Les deux vont de pair, et sont deux caractéristiques du même déclin : les gens ont perdu toute référence historique et toute culture.

On a tôt fait d'incriminer les gouvernements successifs : ils règnent par la peur. Peur des épidémies, des dérèglements climatiques, etc. : toute peur est bonne à prendre. Les gouvernants sont lâches, veules, dépourvus d'ambition comme d'intelligence : tout ceci est vrai et bien au-delà. Le peuple, qui élit les dirigeants, a du mal avec certains sujets, assurément trop techniques (le climat) ; sur d'autres (les épidémies), bien des ouvrages grand public sont à la portée de qui veut les lire. Ils montrent sans ambiguïté l'absurdité des décisions prises, auxquelles cependant une large partie du public continue de se soumettre sans protester. Le peuple a les dirigeants qu'il mérite.

Allons au-delà de ces jugements faciles ; sans vouloir absoudre les dirigeants ni le peuple, nous voyons trois responsables à ce déclin : l'enseignement, les scientifiques et les entreprises.

L'enseignement

Je vais d'abord traiter très brièvement du cas de ma discipline : les mathématiques, qui est aujourd'hui sur la sellette : les élèves ne comprennent rien à ce qu'on leur enseigne. C'est vrai ; la faute à qui ? Aux enseignants du supérieur, qui définissent les programmes et forment les enseignants du secondaire et du primaire. Nous nous sommes réfugiés (je m'inclus dans le "nous" : j'ai été Professeur d'Université pendant 16 ans, jusqu'en 1995) dans un formalisme appelé "mathématiques modernes", entièrement coupé des besoins de la société civile.

Dès 1947, Von Neumann avait attiré l'attention : revenons à l'empirisme, sous peine de dégénérescence [1] ; il n'a pas été écouté. Quoique la SCM existe depuis presque 28 ans et traite des contrats pour les entreprises, je n'ai jamais réussi à expliquer ce que nous faisons aux sociétés savantes supposées représenter les mathématiques : la Société Mathématique de France (SMF) et la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI). N'accusons pas le ciel ni le public : nous sommes entièrement responsables de nos programmes et de la manière dont ils sont enseignés.

Il en va évidemment de même des autres matières : français, histoire, géographie, etc., toutes supposées contribuer à la culture générale des élèves. Pour chacune, la responsabilité en incombe aux enseignants eux-mêmes. Vous vous plaignez de la baisse de niveau : commencez donc par rétablir les notes, les examens, et par rendre leur vraie valeur aux diplômes.

Les scientifiques

En principe, les scientifiques sont les premiers concernés par le débat scientifique !!! En réalité, en période d'obscurantisme, ils sont les premiers à l'interdire. Sur des sujets de société, comme le climat et la décarbonation, on lit partout : la messe est dite, il faut agir, alors que la première chose à faire serait de veiller à ce que le débat soit permis ; il ne l'a jamais été. C'est chose commune : souvenons-nous que, lors de la montée du nazisme, à partir de 1933, une immense majorité de scientifiques soutenaient les thèses au pouvoir : la pureté de la race est maintenant remplacée par la pureté de l'atmosphère, avec les mêmes arguments et les mêmes effets. Mais l'absence de débat a pour effet de frapper de nullité les arguments de ceux qui l'interdisent ; Victor Hugo dit cela mieux que moi ("On se réveillera") :

A l’heure qu’il est, grâce à la suppression de la tribune, grâce à la suppression de la presse, grâce à la suppression de la parole, de la liberté et de la vérité, suppression qui a eu pour résultat de tout permettre à M. Bonaparte, mais qui a en même temps pour effet de frapper de nullité tous ses actes sans exception, y compris l’inqualifiable scrutin du 20 décembre, grâce, disons-nous, à cet étouffement de toute plainte et de toute clarté, aucune chose, aucun homme, aucun fait, n’ont leur vraie figure et ne portent leur vrai nom ; le crime de M. Bonaparte n’est pas crime, il s’appelle nécessité ; le guet-apens de M. Bonaparte n’est pas guet-apens, il s’appelle défense de l’ordre ; les vols de M. Bonaparte ne sont pas vols, ils s’appellent mesures d’État ; les meurtres de M. Bonaparte ne sont pas meurtres, ils s’appellent salut public ; les complices de M. Bonaparte ne sont pas des malfaiteurs, ils s’appellent magistrats, sénateurs et conseillers d’État ; les adversaires de M. Bonaparte ne sont pas les soldats de la loi et du droit, ils s’appellent jacques, démagogues et partageux. Aux yeux de la France, aux yeux de l’Europe, le 2 décembre est encore masqué. Ce livre n’est pas autre chose qu’une main qui sort de l’ombre et qui lui arrache ce masque.[2]

Les entreprises

On me dira : les entreprises sont bien obligées de s'accommoder des volontés du public ; si le public veut du vert, de l'économe, du précautionneux, les entreprises vont devoir s'adapter. Eh bien non ! Dans bien des cas, les entreprises vont bien au-delà et déposent une épaisse couche de sottise sur des couches d'obscurantisme, déjà bien épaisses. Il s'y produit ce que nous voyons plus haut : tout débat a disparu.

Dans un livre récent[3], Carlos Ghosn dit qu'il veut que Renault, Nissan, Mitsubishi, produisent des véhicules autonomes parce que les vieux en ont besoin. Sottise : ce dont les vieux ont besoin, c'est de quelqu'un pour ranger les bagages dans le coffre. Mais la question n'est pas là : M. Ghosn est libre de ses idées ; le plus étonnant est que, en interne, personne ne les ait contestées.

Une entreprise cotée en bourse est obligée de fournir un "document de référence", qui liste les risques auxquels l'entreprise est exposée. Prenez n'importe quelle entreprise, en particulier du CAC 40, et lisez ce document : vous n'y trouverez nulle part le risque associé à la décarbonation. Décarboner, c'est du politiquement correct ; cela mène l'entreprise à la ruine ; la plupart des dirigeants le savent, mais aucun n'ose le dire.

Sur tout grand projet, sur tout changement d'orientation, il faudrait par principe un "avocat du diable", chargé d'analyser les points négatifs. Il remet son rapport en toute indépendance ; après quoi les actionnaires font ce qu'ils veulent. Ils peuvent décarboner s'ils en ont envie, mais au moins ils ont connaissance des risques associés. L'existence même de cet avocat du diable est tout simplement inconcevable au sein de l'immense majorité des entreprises. L'obéissance aveugle, la veulerie et la lâcheté, ont depuis longtemps remplacé l'analyse rationnelle.

Peut-on se réveiller ?

Victor Hugo l'espérait, mais les faits lui ont donné tort. Ce n'est pas la "meute de strophes" qu'il lâchait sur Napoléon III qui est venue à bout de celui-ci, c'est la défaite de Sedan. La ruine du pays viendra à bout des gouvernants actuels, mais ne remédiera en rien au déclin de la pensée que l'on observe de manière évidente. D'autres obscurantismes succèderont à la décarbonation, d'autres peurs succèderont à la peur des épidémies ou du réchauffement : le retour à la rationalité n'est pas pour demain.

Le réveil pourrait venir de Mme Michu, boulangère à Vaulx-en-Velin : elle fait du pain de bonne qualité et aime son travail. Elle voudrait concevoir de nouveaux gâteaux, ouvrir de nouvelles boutiques. Elle sait qu'elle doit se lever tôt et travailler dur, mais elle a le sentiment du travail bien fait. Pourquoi ne parviendrait-elle pas à élever ses enfants dans la même idée ? Une dictée, une rédaction, de temps en temps ; la lecture des bons auteurs. Elle enverra ses enfants rendre visite aux grands parents, qui expliqueront que le climat a toujours été variable, que les épidémies sont récurrentes et que la Nature a ses caprices, dont l'homme doit s'accommoder. Pourquoi élèverait-elle ses enfants dans la crainte et la précaution, au lieu de leur parler de progrès et de conquêtes ? Et en définitive, pourquoi n'auraient-ils pas droit, comme nos aïeux, à "l'ivresse d'un rêve héroïque et brutal"[4] ?"

Bernard BEAUZAMY*

Source : Société de Calcul Mathématique SA

*Bernard BEAUZAMY, est un ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1968). En 1976, il obtient un Doctorat d'Etat ès Sciences en mathématiques, sous la direction de Laurent Schwartz. En 1995, il crée son entreprise, la Société de Calcul Mathématique, une entreprise spécialisée dans l’analyse et les probabilités, la théorie des nombres, le traitement du signal et de l'image, la modélisation, le calcul scientifique et l’optimisation.

[1] http://www.scmsa.eu/archives/Von_Neumann.pdf
[2] https://fr.wikisource.org/wiki/Napoléon_le_Petit/1/IV
[3] Carlos Ghosn et Philippe Riès : Le temps de la vérité, 2020
[4] José Maria de Heredia "Les Conquérants", 1893

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Dernière modification le jeudi, 26 janvier 2023 09:33

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